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Définancer la police, qu’est-ce que ça veut dire exactement?

Des policiers et de la fumée.
Ils remettent en question le rôle de la police, mais surtout sa taille, son importance. Des manifestants battront le pavé dans sept villes du Canada aujourd'hui pour exiger des gouvernements de « définancer la police ». Au-delà de cette formule-choc, que réclament vraiment ceux qui la scandent?

Montréal était, en 2018, la ville canadienne avec le plus grand nombre de policiers par habitant, selon Statistique Canada. Pourtant, Montréal est au 99e rang de l’indice de gravité de la criminalité.

« C’est une disproportion », estime le militant et cofondateur de l’organisme Hoodstock Wiel Prosper, lui-même ancien policier.

« Quand une personne racisée se fait interpeller, on voit souvent deux, trois ou quatre véhicules de police sur les lieux. Ça montre que les policiers ont beaucoup de temps sur les bras. Et ce temps, ils l’investissent en sur-surveillance des communautés racisées. »

À Montréal, les personnes noires et autochtones ont entre quatre et cinq fois plus de chances d’être appréhendées par la police que les Blancs, selon un rapport commandé par la Ville et déposé en octobre 2019.

L’idée du définancement de la police a gagné en popularité dans les manifestations Black Lives Matter de juin dernier après la mort de Georges Floyd aux mains des forces de l’ordre de Minneapolis, aux États-Unis. Elle est maintenant au cœur d’un mouvement qui anime ce samedi les rues de Toronto, d’Ottawa, de Montréal, de Calgary, de Frédéricton, de Moncton et de London, en Ontario.

Pourquoi ne pas réformer?

Mais pourquoi désinvestir quand on pourrait réformer? Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) s’est d’ailleurs récemment doté d’une nouvelle politique pour que chaque interpellation soit « basée sur des faits qui pourront être vérifiés et justifiés ». Bref, pour éliminer le profilage racial.

Or, pour Ted Rutland, ça fait 40 ans que la police montréalaise tente en vain de remédier au profilage racial et cette nouvelle politique n’est que de la poudre aux yeux. Ce professeur de géographie sociale, culturelle et urbaine à l’Université Concordia a publié en novembre dernier devant la Commission de la sécurité publique de Montréal un mémoire sur la lutte contre le profilage racial au SPVM intitulé Un échec éternel.

« À chaque fois qu’il y a un scandale, un événement choquant, on nous dit qu’on va améliorer la formation des policiers et embaucher plus de personnes racisées, mais ultimement, ça ne marche pas », tranche M. Rutland.

Il ajoute que la réduction de la police soulagerait non seulement les personnes racisées, mais toutes les personnes marginalisées.

« La police agit rarement face à de vrais dangers, mais surtout sur des questions d’ordre public, soutient M. Rutland. Il y a une série d’actions comme être ivre en public, uriner dans une ruelle ou dormir sur la place publique qui ne menacent pas notre sentiment de sécurité, mais qui sont proscrites par la politique sur les incivilités de Montréal. Ce sont des comportements liés à l’itinérance et ces lois visent à contrôler les gens qui n’ont d’autre choix que de dormir dans l’espace public. »

Toute la population bénéficierait d’un allègement des corps policiers, soutient Wiel Prosper.

« Disons qu’on a deux personnes qui commettent une infraction, donne-t-il en exemple. La première, on lui donne des soins et des services, on travaille à la réinsérer dans la population selon ses besoins et ses aspirations. La deuxième, elle, va en prison, et peut-être éventuellement en isolement complet, comme ça arrive à plusieurs détenus. Les deux seront relâchées un jour. Toi, en tant que citoyen, lequel aimerais-tu avoir comme voisin? »

Mettre l’argent ailleurs

La réduction du budget ne tient pas toute la place dans le discours de ses partisans. Ils réclament aussi le réinvestissement des sommes économisées dans des services sociaux et dans la prévention.

« Plein de problèmes qui tombent sous la responsabilité de la police pourraient être réglés par d’autres organismes », explique Ted Rutland.

Il cite l'exemple des personnes en situation d’itinérance, qui seraient selon lui mieux servies en augmentant le nombre d’intervenants sociaux, et aussi les enjeux de santé mentale. Le SPVM répond annuellement à 33 000 appels pour des personnes en état de crise.

« Dépêcher un policier mal formé et mal outillé dans ces cas-là, c’est absurde, c’est violent. »

À Montréal, 25 organismes forment la coalition pour le définancement de la police, dont Hoodstock, Black Lives Matter Montréal et le Réseau de la communauté autochtone à Montréal.

La coalition réclame notamment le désarmement complet des policiers ainsi que la décriminalisation de toutes les drogues et du travail du sexe. Et évidemment, la réduction du budget du SPVM, à hauteur de 50 % des quelque 665 millions de dollars qui lui sont alloués.

Wiel Prosper estime qu’il faut y aller progressivement. « Personne dans la population n’est prêt à éradiquer la police, mais si on dit qu’on prend 10 % du budget pour l’investir dans des interventions sociales, plusieurs personnes seraient d’accord. Et 65 millions dans nos communautés, ça ferait du bien à tout le monde, en premier lieu à la police, dont la charge de travail serait allégée. »

Ted Rutland, lui, se plaît à imaginer un monde sans police. « Je pense que la sécurité publique serait mieux assurée par des gens non armés formés dans différents domaines et qui ne travaillent pas pour la police. »

Pas si vite

Dans un mémoire déposé dimanche dernier dans le cadre de la consultation prébudgétaire de Ville, la Fraternité des policiers de Montréal s’oppose au définancement, affirmant qu’il menacerait la sécurité publique.

« Le financement des programmes sociaux ne peut se faire au prix d’une destruction de l’efficacité policière sans que l’insécurité crée de nouveaux problèmes sociaux », avance la Fraternité.

Le professeur en criminologie à l’Université de Montréal Marc Ouimet abonde dans le même sens. Dans une lettre ouverte dans La Presse, il soutient que « diminuer les ressources policières amènerait une baisse des risques qu’encourent les criminels et ce seraient les secteurs défavorisés des villes qui encaisseraient le coup ».

La mairesse de Montréal Valérie Plante a affirmé début juin être ouverte à l’idée de discuter d’une réallocation d’une partie du budget du SPVM.

« L’objectif, c’est de voir comment redistribuer le financement alloué à la police pour l’investir dans des initiatives sociales et communautaires, affirme Rosannie Filato, membre du comité exécutif responsable de la sécurité publique. On est en faveur de ça, mais il y a une discussion qui doit avoir lieu avec le gouvernement du Québec et les autres villes. »

La Ville de Toronto a rejeté en juin une proposition de diminution de 10 % du budget de sa police.

Aux États-Unis, les Villes de Los Angeles et de New York ont récemment approuvé des réductions budgétaires pour leurs corps policiers.

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