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La malédiction du talent (ou comment perdre ses meilleurs employés)

Illustration artistique d'une victime de burnout
Avouons-le, c'est un scénario rêvé : exceller à son travail, recevoir la reconnaissance de ses patrons et obtenir les meilleurs dossiers. Mais soudainement, on craque sous la pression et on quitte son emploi plutôt que ralentir. Ce phénomène, qui peut entraîner des coûts importants pour les employeurs, a été baptisé par deux chercheurs la « malédiction du talent ».

Elle touche les employés talentueux et performants qui sont dans un premier temps détectés par leurs entreprises et ensuite mis de l’avant publiquement, soit par une promotion ou par un programme d’avancement. On leur envoie clairement le message : continue comme ça et un poste de haute direction t’attend.

Sauf qu’à partir de ce moment de gloire professionnelle, l’employé « maudit » travaille chaque seconde de sa vie pour prouver qu’il mérite le titre de « futur leader ». Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à quitter son emploi.

C’est arrivé à Thomas, employé d’une société d’investissements aux États-Unis. On peut lire son histoire dans l’article The Talent Curse, publié dans le Harvard Business Review.

Après avoir été identifié comme une étoile montante, Thomas a été affecté à un dossier d’habitude réservé aux associés de sa firme. Pendant cette période, il ne dort en moyenne que deux heures par nuit, jusqu’à subir des pertes de mémoire. Un médecin lui conseille de travailler moins.

Mais il en est incapable, il veut prouver qu’il est à la hauteur de la confiance qu’on lui donne. Son travail acharné permet à son entreprise de conclure un marché de près de 2 milliards de dollars.

À la surprise de tout le monde, il décide de remettre sa démission. Pour lui, l’idée de ralentir la cadence et décevoir ses patrons est une impossibilité. Mais sa santé ne lui permet plus de continuer.

« Thomas est un peu l’exemple extrême, celui qui a travaillé jusqu’à s’en rendre malade », explique la coauteure de l'article, Jennifer Petriglieri, professeure à l'Institut européen d'administration des affaires.

« Ce n’est pas le cas pour tous ceux qui souffrent de la “malédiction du talent”. Plusieurs ne vont pas tomber malades, mais vont aussi préférer quitter leur emploi plutôt que ralentir », explique-t-elle en entrevue via Skype.

Le profil

Les auteurs estiment que n’importe qui peut être victime de cette malédiction. Mais elle touche d’une façon particulière les minorités et les employés de 25-35 ans.

Pourquoi? D’une part, parce qu’ils ressentent davantage la pression d’être un modèle, celui qui va défricher le chemin, et de l’autre, parce qu’ils n’osent pas verbaliser les problèmes rencontrés.

Très rarement ceux qui quittent leur travail vont expliquer les raisons véritables de leur départ. Ce qui fait en sorte que les organisations ne peuvent pas identifier les problèmes.

Une citation de JENNIFER PETRIGLIERI

Cette malédiction du talent coûte d’ailleurs cher à ceux qui la subissent et aussi aux entreprises qui les engagent. Car ils sont effectivement des employés prometteurs.

Avoir un talent ou être un talent

« Il y a 20-30 ans, on disait surtout que quelqu’un possédait un talent. Un talent en maths, un talent en musique. Maintenant, des entreprises vont jusqu’à nommer des employés “les talents”. »

Pour Jennifer Petriglieri, il faut plutôt voir le talent comme quelque chose qu’on possède, qu’on choisit d’utiliser, mais surtout pas comme ce qui nous définit.

Autre mot-clé récent et populaire critiqué par la chercheuse : l’authenticité. Lorsqu’une entreprise encourage l’authenticité chez ses employés, ce n’est pas toujours vrai.

Avec le talent vient parfois une part d’ombre. Par exemple, des gens très créatifs peuvent aussi parfois être très angoissés. Et lorsqu’on dit “sois authentique”, on interprète surtout ça comme “sois authentiquement créatif, mais pas authentiquement angoissé”.

Une citation de JENNIFER PETRIGLIERI

Son conseil : ne pas occulter certaines facettes de sa personnalité, pour ne pas sombrer dans une dynamique où l’on doit entretenir une fausse image de soi.

Un phénomène difficile à quantifier

« Oui, on s’est fait dire que c’était un first world problem », rigole Jennifer Petiglieri, en racontant la réaction de certains gestionnaires qui ont lu The Talent Curse.

« Certains vont ironiser : oh, quelqu’un est reconnu pour son talent, mais trouve la pression trop intense, pauvre lui! »

Même si la chercheuse ne se risque pas à chiffrer l'ampleur du phénomène, depuis la publication de l'étude, les témoignages affluent dans sa boîte courriel.

Et une phrase revient souvent : « Je pensais être seul et je me sentais tellement ingrat de ne pas être complètement reconnaissant d’être mis de l’avant ».

Au final, pour Jennifer Petiglieri, la meilleure façon de devenir un bon leader est d’accepter l’aide des autres. Même si la demander est évidemment difficile.

« Pour les employeurs, il est important de reconnaître que ces employés ne veulent pas nécessairement moins travailler et obtenir moins de gros dossiers. Le problème vient vraiment avec la pression et les projecteurs qui naissent avec la reconnaissance publique. »

Rad, le laboratoire de journalisme de Radio-Canada

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