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Bientôt des chandails usés dans nos sofas?

Un sofa et des coussins.
Le Québec fait partie des trois seules provinces canadiennes à interdire l'utilisation des vêtements usés comme matériaux de rembourrage. La situation pourrait-elle changer? Un projet de loi en ce sens sera déposé par l'opposition en février à l'Assemblée nationale. La question intéresse aussi le gouvernement libéral.

En regardant de près les étiquettes de vos coussins, de vos sofas ou de vos matelas, vous remarquerez l’indication suivante : « Matériaux neufs seulement ». Les manufacturiers se conforment ainsi à une réglementation toute québécoise : la Loi sur les matériaux de rembourrage et articles rembourrés. Cette loi interdit l’utilisation de « matériaux d’occasion » dans des articles rembourrés à quelques exceptions près, comme les chaussures, les cercueils et les véhicules.

Le but de la loi qui date de 1969 était de protéger les consommateurs, raconte la professeure agrégée à l’École de design de l’Université de Montréal Denyse Roy, spécialisée dans les matériaux textiles. « Il y avait eu des scandales de vieux matelas qui étaient emballés dans du coton neuf, mais qui étaient remplis de vermines. »

Des revendications qui datent

Mais en 2018, alors que les textiles en fin de vie s’empilent dans les dépotoirs, de plus en plus de voix se font entendre pour contester la pertinence de cette vieille loi. « Ça fait plus de dix ans que les acteurs du milieu essayent de toutes sortes de façons de la faire réviser », dit Denyse Roy, convaincue qu’il s’agit du chemin à prendre.

Parmi ces acteurs qui veulent faire bouger les choses se trouve Certex, un des plus gros centres de tri de vêtements usagés au Québec. Faute de débouchés pour les textiles qu’il ne peut pas vendre, l’organisme à but non lucratif doit les faire enfouir ou brûler. Cela représente 15 % du volume de tous les dons qu’il reçoit. « On a besoin de débouchés », plaide le directeur général de Certex, Stéphane Guérard.

Certex a approché la députée de sa circonscription, Martine Ouellet, pour qu’elle porte le dossier à Québec. Et elle a accepté. « C’est du gros bon sens. Il faut qu’on se donne les moyens de faire quelque chose avec les nombreux vêtements et les textiles trop usés pour être reportés », dit la députée qui siège comme indépendante à l’Assemblée nationale.

Mme Ouellet a donc fait préparer un projet de loi, qui assurera notamment que les matériaux recyclés sont « hygiéniques » (par exemple, désinfectés) et que les articles qui en contiennent sont adéquatement étiquetés.

« Si les gens veulent favoriser le recyclage plutôt que la surconsommation de produits neufs, ils pourront faire un choix éclairé », dit la députée.

Québec rejoindrait ainsi la majorité des États américains et des provinces canadiennes (à l’exception de l’Ontario et du Manitoba) qui permettent l’utilisation des fibres recyclées comme rembourrage.

Une femme trie des vêtements usés chez Certex, un des plus gros centres de tri au Québec, à Longueuil.

Parmi les acteurs qui veulent faire bouger les choses se trouve Certex, un des plus gros centres de tri de vêtements usagés au Québec.

Photo : Photo : Sarah Babineau

Qu’en pense le gouvernement du Québec?

Le ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation (MESI), de qui relève la loi, dit être déjà en train d’étudier la possibilité d’autoriser l’utilisation de fibres textiles recyclées dans la fabrication d’articles rembourrés.

Le gouvernement du Québec devrait prendre une décision au cours de l’année, indique l’attachée de presse adjointe de la ministre Dominique Anglade, Kim Desert.

Pour l’instant, le MESI consulte notamment des fabricants québécois d’articles rembourrés au sujet des « problématiques de santé publique, de protection des consommateurs, de relations interprovinciales et de commerce international que pose un éventuel allégement de la loi ».

Québec se préoccupe entre autres du fait que les entreprises étrangères qui commercialisent des produits ici pourront aussi bénéficier d’un assouplissement des règles.

Recyc-Québec, dont le mandat est d’orienter, de coordonner et de mettre en oeuvre les activités de recyclage, avait commandé une étude en 2005-2006 sur les possibilités d’utiliser des fibres recyclées comme matériaux de rembourrage.

Plus de dix ans après, Recyc-Québec dit appuyer un assouplissement de la réglementation. Les conclusions de l’étude ont été partagées avec le ministère, nous dit-on.

Photo : Radio-Canada / Photo : Sarah Babineau


Pour Recyc-Québec, il s’agit cependant d’une solution parmi d’autres pour réduire les déchets textiles. « Ce ne sont pas tous les textiles qui pourront être utilisés comme matériaux de rembourrage. Ça ajoute un débouché, mais ça ne peut pas être la seule voie de traitement des textiles au Québec », dit Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente par intérim, Performance des opérations chez Recyc-Québec. Les fibres recyclées, ajoute-t-elle, devront répondre notamment aux exigences de résistance au feu et de salubrité.

Recyc-Québec doit publier ce printemps de nouvelles données sur le volume de textiles qui se retrouvent dans les poubelles. Selon les derniers chiffres disponibles qui datent de 2006, plus de 60 % des textiles dont se débarrassent les Québécois aboutissent dans les sites d'enfouissement : une partie est jetée par les ménages, une autre par les organismes qui reçoivent les dons.

Le directeur du centre de tri Certex, Stéphane Guérard, sait qu’il faudra plus qu’un changement à la loi pour développer un réel marché pour les fibres recyclées. Mais il estime que c’est la bougie d’allumage nécessaire pour approcher les manufacturiers et créer des débouchés.

Durant des décennies, l’entreprise Leigh textile a transformé à Montréal d’importantes quantités de vêtements usés en fibres recyclées. L’usine de défibrage a fermé en 2011, après que son principal acheteur, l’industrie automobile, eut vécu une grave crise à la fin des années 2000. L’ex-président de l’entreprise, Daniel Castro, s’était alors cogné le nez sur la loi sur le rembourrage dans sa recherche de nouveaux débouchés. Pour lui, qui a connu l’âge d’or du défibrage dans la métropole, rien n’est possible sans de nouveaux acheteurs.

« Mon point de discorde avec le gouvernement, ça a toujours été que j’ai le droit d’aller dans une friperie acheter du linge usagé, il n’y a pas de danger, il n’y a pas de problème, mais je n’ai pas le droit de l’utiliser pour faire des feutres qui sont cachés quelque part [à part quelques exceptions] », dit Daniel Castro.

Certex rêve de réimplanter une usine de défibrage au Québec. C’est aussi l’espoir qu’entretient un groupe de chercheurs et d’experts, dont fait partie la professeure Denyse Roy, qui travaille à trouver de nouveaux débouchés pour les fibres recyclées dans la province. Recyc-Québec se dit ouvert à l’idée.
Mais avant, « il faut enlever les verrous législatifs », martèle Stéphane Guérard, de Certex. La prochaine année pourrait marquer un moment décisif.

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