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Seul avec bébé : le congé parental au masculin

Romain donne le biberon à son fils Lucas dans leur maison de Rosemont, à Montréal.
Le Québec a un programme de congé parental unique qui permet aux hommes de passer plusieurs mois avec leur nouveau-né. Et pourtant, seulement un père sur quatre s'en est prévalu en 2016.

La grande majorité des hommes (70 %) prennent le congé de 5 semaines réservé aux pères, mais s'abstiennent de toucher aux 32 semaines de congé parental partageables avec leur conjointe.

Or, une étude menée en Suède (Nouvelle fenêtre) révèle un lien direct entre le partage du congé parental et plus d’équité dans le couple.

Nous avons rencontré cinq pères qui ont pris en charge le nid familial pendant quelques mois pour connaître leurs motivations… et leurs impressions.

Romain donne le biberon à son fils Lucas dans leur maison de Rosemont, à Montréal

Romain donne le biberon à son fils Lucas dans leur maison de Rosemont, à Montréal

Photo : Sarah Babineau

Romain Touati, aviseur technique

La plus grande surprise de Romain lorsqu’il a pris le relais du congé parental au début de l’année? Ne pas croiser d’autres hommes qui, comme lui, s’occupaient de leur enfant, lors de ses sorties en semaine.

Arrivé de France avec sa conjointe Alice il y a 5 ans, le nouveau père âgé de 30 ans croyait pourtant être dans la norme. « Mais finalement pas. Et quand on parle de congé parental, qu’on consulte les livres écrits pour les parents ou encore lorsqu’on participe aux ateliers offerts, on voit bien que c’est encore destiné presque exclusivement aux mères. »

Sa décision de passer quatre mois seul avec son enfant a d’abord été rationnelle : sa conjointe Alice gagne un salaire plus élevé et, pour le couple, il était logique qu’elle retourne plus vite au travail.

Toutefois, en raison de la naissance prématurée de leur fils Lucas, Romain a constaté une acceptation plus naturelle dans son entourage.

« Comme mon fils est prématuré, tout le monde a perçu mon congé comme quelque chose de normal. Mais honnêtement, je ne crois pas que ça aurait été aussi bien accepté dans un autre contexte. On m’aurait laissé prendre le congé, parce que c’est la loi, mais je pense que la perception aurait été plus mauvaise. »

François s’amuse avec son fils Arther dans leur appartement de Saint-Léonard à Montréal.

François s’amuse avec son fils Arther dans leur appartement de Saint-Léonard à Montréal.

Photo : Sarah Babineau

François Hoang, designer UX

François a, de son côté, pris neuf mois de congé parental et paternel. Une expérience qui vient tout juste de se terminer et qui lui a fait comprendre bien des choses.

Il a deux enfants, âgés de 3 ans et de 10 mois, et deux expériences totalement différentes du congé parental. Lors de la naissance de son premier fils, l’homme de 33 ans commençait un nouveau travail qui lui donnait peu de flexibilité. Il a pu s’absenter six jours, sur une période d’un an et demi.

Pour son deuxième enfant, le scénario s’est inversé : il souhaitait passer du temps à la maison avec son nouveau-né. Et ça tombait bien : sa conjointe voulait démarrer sa petite entreprise.

Pour le premier enfant, j’étais le basic husband qui arrivait à la maison et qui disait à [sa] femme : “Tu n’as pas pris le temps de faire le ménage?” J’ai réalisé que c’était dur [d’]être à la maison, que c’est une longue suite d’étapes pour accomplir une petite chose et que ça prend un mégaplanning.

Une citation de François Hoang

À 33 ans, il termine son congé enchanté et convaincu que son couple en ressort gagnant. Son entourage a toutefois mis du temps à comprendre son choix.

« Les membres de ma famille pensaient que ma femme me contrôlait, que j’étais en prison », dit-il en éclatant de rire.

« Ils voyaient un homme à la maison, responsable de faire le souper, donner le bain, jouer avec les enfants. Et elle [ma conjointe], elle va travailler? Il a fallu que j’explique que c’était ma décision. »

Luis Molinié tient dans ses bras son bébé Victor, dans un bureau municipal de l’arrondissement Ville-Marie.

Luis Molinié et Victor, dans un bureau municipal de l’arrondissement Ville-Marie.

Photo : Sarah Babineau

Luis Molinié, scénariste

Notre rencontre avec Luis et son bébé de 2 mois, Victor, s’est faite dans un contexte plutôt inusité : dans les bureaux municipaux de l’arrondissement Ville-Marie à Montréal. C’est que sa conjointe est Sophie Mauzerolle, conseillère élue sous la bannière de Projet Montréal en novembre dernier.

Le personnel du bureau n’a pas mis beaucoup de temps avant de s’agglutiner dans l’embrasure de la porte pour saluer parents et bébé.

Bien que Sophie Mauzerolle profite de 18 semaines de congé de maternité, un programme qui existe depuis seulement 2016 pour les élues municipales, elle passe souvent au bureau, accompagnée de son conjoint et de son nouveau-né.

« Elle ne peut pas complètement décrocher, glisse Luis en berçant son fils. C’est au-delà du travail, elle se sentirait coupable de laisser son mandat aussi. »

Il est à l’écoute de son poupon : dès qu’il a faim, il l’amène dans la pièce voisine où Sophie peut l'allaiter.

C’est leur deuxième enfant, et cette fois, c’est Luis, 31 ans, qui prend presque tout le congé parental.

C’est une question d’équité. Et c’est cool, je reçois beaucoup de félicitations, mais en même temps, c’est étrange. Les mères [qui prennent le congé] n’ont pas nécessairement cet appui et cette même reconnaissance.

Une citation de Luis Molinié

Luis sera seul à temps plein avec Victor dans un peu plus d'un mois. Son plan de match? Se déplacer au travail de sa conjointe pour qu'elle puisse continuer d'allaiter. L'allaitement est d'ailleurs un facteur qui pousse souvent les parents à ne pas partager le congé parental.

« Ça revient à la même chose d’être à la maison ou dans un environnement convivial comme ici. C’est une expérience à travers laquelle je vais grandir. C’est quelque chose de franchement valorisant. »

Jérôme joue au hockey avec ses fils Nathan et Pier-Olivier, devant leur maison à Trois-Rivières.

Jérôme joue au hockey avec ses fils Nathan et Olivier, devant leur maison à Trois-Rivières.

Photo : Sarah Babineau

Jérôme Dubé, gérant de projets en construction

C’est un mois à peine après la naissance de leur deuxième enfant que Jérôme a entamé seul son congé parental. Sa conjointe Marie-Pier, qui fait carrière comme journaliste, souhaitait retourner rapidement sur le marché du travail.

« Y’a tout le temps le mot “congé” et cette impression que ça va être cool. Ben non, il n’y en a pas de congé. Ça n’existe pas. Ça prend 100 % de ton attention », explique-t-il.

Jérôme travaille en construction. « Mais pas sur les chantiers, où je dirais que c’est plus traditionnel. Dans les bureaux, c’était déjà bien vu de prendre un congé parental; [c’était le cas] dans la compagnie où j’étais. »

Jérôme va chercher ses fils, nés respectivement en 2009 et 2010, après l’école et gère les activités. « Je le recommande à tous les pères, ça crée des liens. Tu le vois dans le vestiaire de hockey. Quand les gars ont quelque chose à demander, ils viennent me voir directement. Les autres garçons, c’est maman. »

Marc-André prend sa fille Élie Lou dans ses bras.

Marc-André et sa fille Élie Lou en route vers sa garderie dans Rosemont.

Photo : Sarah Babineau

Marc-André Bélanger, coordonnateur de projets, Auberges du Coeur

Lors de l’arrivée du premier enfant de Marc-André et de Valérie, cette dernière ne voulait pas être cantonnée au rôle de mère au foyer.

« Ma blonde voulait retourner au travail. Pour elle, c’était important de garder les autres volets de sa vie en tant que travailleuse autonome et étudiante. Je lui ai dit que j’étais ouvert et que j’aimerais ça essayer un congé d’un an. »

Le couple a passé les 4 premiers mois de vie d’Élie Lou ensemble. Et puis Marc-André est finalement resté seul deux mois à la maison.

Ce qu’il retient de l’expérience? Le lien de qualité et la complicité qui se sont créés entre lui et sa fille. Souvent, c’est lui qui se levait la nuit pour amener son enfant au sein de sa mère.

Mais est-ce que cette implication tôt dans la vie de son bébé est la panacée pour assurer l’équité à long terme dans le partage des tâches?

« On aurait cru que la charge mentale se serait égalisée. Mais malgré tout, elle reste dominante chez ma blonde. Si j’étais retourné travailler rapidement, j’en aurais peut-être moins conscience. Un congé parental égal, ce n’est pas ça qui va régler le problème de fond. Il faut faire la promotion de modèles différents. »

Pour leur second bébé qui vient tout juste de naître : revirement de situation. C’est Valérie qui prendra presque tout le congé parental. Le contexte professionnel a pesé dans la décision, car Marc-André occupe un poste où il est moins simple d’être remplacé. Mais ce n’est pas tout.

« Le stress, la fatigue, ça te rentre dedans. L’allaitement a pris le bord 2-3 mois après la naissance d’Élie Lou. Cette fois-ci [ma conjointe] a le goût de bien prendre le temps avec la petite. Elle me dit souvent que c'est sa dernière grossesse. Elle a un désir de vivre pleinement son année. »

Les couples de même sexe ont aussi accès au régime québécois d’assurance parentale. Les couples formés de deux femmes peuvent réclamer le congé maternel de 18 semaines, paternel de 5 semaines et parental de 32 semaines. Les couples formés de deux hommes ont droit à tout sauf au congé maternel, exclusif aux femmes qui ont accouché.

Partager pour plus d’équité

Dans un volumineux rapport publié en avril 2015, le Conseil du statut de la femme faisait un lien direct entre le partage du congé parental pris en partie seul par le père et une plus grande équité dans le couple.

L’idée d’être seul avec l’enfant, on le remarque à travers des études, ça fait une très grande différence pour développer un lien significatif avec les enfants, pour développer le sentiment de compétence parentale chez les pères, et donc pour rééquilibrer les inégalités dans le partage du travail domestique et parental.

Une citation de Hélène Charron, directrice du Conseil du statut de la femme

Le Conseil proposait déjà il y a trois ans d’ajouter trois semaines de congé de paternité, à condition que le père soit seul durant cette période, car comme le précise Hélène Charron, « ce sont quand les semaines sont réservées aux pères qu’ils prennent leur congé ».

Et ailleurs?

Ailleurs au Canada (Nouvelle fenêtre), la prestation de partage parental de l’assurance-emploi sera bonifiée de cinq semaines d’ici l’été 2019 pour encourager les pères à se prévaloir d’un congé de paternité.

En Islande, les pères et les mères ont chacun un congé exclusif de trois mois, et ils peuvent se partager trois mois supplémentaires.

En Suède (Nouvelle fenêtre) aussi, les pères ont un congé exclusif de 3 mois, en plus d’avoir accès à un congé parental partageable de 16 mois.

En France (Nouvelle fenêtre), 11 jours sont réservés aux pères salariés, qui peuvent ajouter trois jours de congé de naissance.

Les parents américains (Nouvelle fenêtre) ont l’un des systèmes les moins généreux d’Occident : les femmes et les hommes qui se qualifient peuvent prendre trois mois de congé, qui ne sont pas obligatoirement rémunérés.

Rad, le laboratoire de journalisme de Radio-Canada

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