Avoir 30 ans et sa collection d’art
Photo : Radio-Canada / Samuel Charpentier
Mireille Poirier, 31 ans
Tout a commencé avec une toile commandée par ses parents et fièrement exposée dans le salon familial. L’artiste Toussaint y avait peint le paysage qui a vu grandir sa mère. « Pour moi, c’était le bel objet de la maison, la chose précieuse », se souvient Mireille Poirier. Cette amoureuse des arts a pris goût à côtoyer quotidiennement le beau. Une fois adulte, elle savait qu’elle souhaitait, elle aussi, posséder de beaux objets.
C’est quand elle a eu 25 ans que sa collection a vu le jour. Premier achat : une toile de l’artiste Simone Rochon, payée 800 $ (en deux versements). « J’avais enfin un emploi stable en culture, raconte-t-elle. J’avais de l’argent pour l’acheter. » Mais surtout, elle connaissait l’artiste, ses techniques, sa démarche et elle a eu un coup de cœur pour l’œuvre.
Mireille a tout de suite eu la piqûre. Sa collection compte aujourd’hui une quinzaine de pièces. Elle privilégie les œuvres où la trace de l’artiste se fait sentir et celles faites par des femmes, à cause des sujets abordés qui viennent plus souvent la toucher. « Avec le temps, avec l’accumulation des objets, je suis rendue à l’étape où je pense qu’il faut que ma collection ait une ligne directrice », dit-elle.
Mais il y a une constante depuis le début de sa collection : sa volonté de soutenir financièrement des artistes qu’elle aime.
L’achat vient contribuer à la carrière de l’artiste. On vient appuyer son travail. Et si on n’achète pas d’art, il n’y a plus personne qui va vouloir en faire.
Pour Mireille, il serait faux de croire que collectionner de l’art est uniquement accessible à une élite financière. « De l’art, il y en a à tous les prix », souligne-t-elle. Mais avec un budget qui n’est pas non plus illimité, cette passion a, dans son cas, imposé des choix : pas de voiture, pas de maison et un peu moins de voyages.
« Je vis très simplement, souligne-t-elle. Mais je suis mieux avec ces objets-là qu’avec une maison à entretenir. »
Photo : Radio-Canada / Samuel Charpentier
Alexandre Mogharaei, 33 ans
Alexandre Mogharaei s’est toujours intéressé à l’art. Il visite les musées depuis qu’il est enfant. Il s’implique aussi dans le domaine culturel depuis plusieurs années. Mais à la fin de la vingtaine, il a voulu amener sa passion un peu plus loin en commençant sa collection d’art. « C’est quelque chose qui est venu un peu naturellement si on veut, raconte-t-il. Même si ça peut paraître un peu pompeux. »
Parce que, oui, être collectionneur d’art à 33 ans, ça peut effectivement avoir l’air un peu pompeux. Le travailleur du milieu de la finance n’est d’ailleurs pas certain de complètement adhérer au terme « collectionneur ». Pour lui, acheter des œuvres, c’est une question de coups de cœur, tout simplement, et non pas de recherche de prestige. « Ça ne m’accorde pas grand prestige, rigole-t-il. Pour se créer du prestige, il faut mettre sa collection en valeur dans un lieu autre que chez soi. Chez soi, ça reste des pièces comme d’autres. »
C’est une toile de l’artiste Jean-François Lauda qu’il a d’abord achetée. Il souhaitait alors offrir un appui sincère à cet artiste, dont la démarche le touchait. Un appui qui, concrètement, a pris la forme de quelques milliers de dollars. « Je suis conscient que ce n’est pas nécessairement pour tout le monde acheter une toile entre 5000 $ et 7000 $, avoue-t-il. Après, il y a de plus petites toiles qui sont moins dispendieuses. Ce qui est accessible, c’est toujours relatif à un budget. »
Et pour lui aussi, la notion de sacrifice entre dans l’équation. « Quand je suis allé acheter cette première œuvre, la galeriste m’a demandé si elle pouvait m’accompagner à ma voiture, se souvient-il. Je lui ai plutôt dit que je devais appeler le taxi. » Entre le début d’une collection d’art et l’achat d’une voiture, il avait fait son choix.
Depuis, il a acheté six autres œuvres d’artistes qui sont, la plupart du temps, de sa génération.
Ce qu’ils font actuellement, ça représente ce qu’une personne de nos âges vit et qui nous est contemporain. Dans dix ans, je pourrai dire “voici ce qui était actuel quand j’avais 30 ans.”
Pas des cas isolés
Si les jeunes collectionneurs d’art ne courent pas les rues, Mireille et Alexandre ne sont pas des extravagants pour autant. Julie Lacroix, directrice générale de l’Association des galeries d’art contemporain qui organise la foire annuelle Papier, observe que l’engouement pour l’achat d’œuvres augmente chez les 40 ans et moins. « Il y a une multiplication des groupes de jeunes qui veulent soutenir la culture et donc, par ricochet, un intérêt de plus en plus grand pour la consommer », explique-t-elle.
Plusieurs de ces jeunes acheteurs sont issus du monde des affaires, mais pas tous. C’est d’ailleurs un des objectifs de la foire Papier : attirer des consommateurs issus de tous les milieux, en leur démontrant qu’il existe de l’art pour tous les budgets. Après 12 ans d’existence, le message passe de plus en plus.
La prise de conscience de l’importance d’encourager financièrement les artistes contribue aussi à la popularité de la vente d’œuvres, souligne Julie Lacroix. « La prise de conscience de se dire : “Non, je n’irai pas chez IKEA acheter une reproduction. Je préfère économiser un peu plus, vraiment soutenir un jeune artiste et avoir une œuvre d’art plutôt qu’un imprimé générique fait en Chine”. »
C’est d’ailleurs un argument qui est souvent martelé par ces jeunes collectionneurs devenus ambassadeurs : « Acheter de l’art, ça va plus loin que le simple fait de décorer, soutient Julie Lacroix. Ça crée des dialogues quand tu reçois des gens chez vous, les gens sont attirés par l’œuvre, donc ça nourrit ton quotidien. »